Tremohars

Artiste Peintre

Tremohars, par Gérard Le Gouic dans « Du seuil de Kermadeoua » Editions  des Montagnes noires » 2020

L’amitié avec un peintre nait d’abord de son travail de peintre. Peut-on partager, en effet, avec quelqu’un dont on n’estime pas ce qui est pour lui essentiel?

Tremohars, sa signature d’artiste afin de se démarquer de ses ascendants philosophes du dix-neuvième siécle, a beaucoup voyagé sur les terres insoumises de sa jeunesse qui le hantent encore.

Il voyageait alors non pas à l’aventure, il n’a rien de l’aventurier ni du risque-tout, mais à l’aveuglette, au fil et au gré des moyens de transport, des rencontres, du temps. Il menait une vie en pointillé dans laquelle il était tantôt le trait, tantôt l’espace.

Après avoir parcouru de nombreux pays de l’Afrique orientale et de l’extrême asie, il s’est ancré à Pont-Aven, en bordure de la rivière tumultueuse aux rochers se la cité des peintres et des poètes dont les eaux ont longtemps musardé dans les prairies d’un arrière-pays de fées et de korrigans. Et les deux brèves syllabes du fleuve chantent en lui comme des appels à de nouvelles évasions. Son cours est pour Tremohars le guide vers ses rêves d’autrefois qui ne sont jamais taris, qui ne cessent au contraire de s’étirer comme des couchers de soleil, et ce sont les couchers de soleil qui nous engagent à l’aventure du voyage, nous insufflent la volonté de nous surpasser.

Tremohars est un rêveur d’îles. Il s’est métamorphosé en îlien. Son univers d’artiste s’est inscrit dans un cercle comme s’il cherchait, comme tout pélerin, à rejoindre son point de départ afin de préparer de nouveaux envols vers des horizons inconnus et des continents qu’ils pressent à sa portée malgré les obstacles qui l’en séparent. Ces futurs envols qui naissent sous la soie de ses pinceaux, sous les caresses de ses brosses, viennent stimuler ses fringales d’évasion d’autrefois.

Dans ses éocations de ports, par exemple, où foisonnent les activités humaines, on se retrouve, à bien observer, en présence d’une île. La mer, la haute mer, le large n’apparaissent pas dans leur plénitude mais tout concourt afin qu’on les perçoive à proximité, qu’on ressente la montée et la fuite imminentes du flot des marées qu’on imagine perpétuellement d’équinoxe.

J’éprouve sentiment semblabel face à ses évocations terriennes, champêtres, paysannes. Les espaces sont clos. Aucune tragédie, fut-elle en devenir, ne vient rompre la plénitude d’un tableau presque idyllique. Il y a du Brueghel le Vieux, dit aussi le Drôle, dans ses apparitions de fourmillières humaines.

Tremohars est un poète, il fut un temps un homme aux semelles de vent. Ce qui me frappe, entrainé sans douye par le mot « semelle », ce sont ses chaussures aux cuirs colorés, comme s’il cherchait à emporter, à exposer, où qu’il soit, sa palette aux teintes vives, vivantes. C’est là un détail amusant qui n’est pas sans signification dans la mesure où sa compagne Izabela en effectue le choix

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Bruno Tremohars, par Leonard Sompairac

 

Bruno était connu avant Trémohars. Réputé, en tout cas, il l’était pour ses innombrables voyages et ses passeports intégralement remplis de visas et de tampons.

Ratisseur de continent, il rendait visite à sa famille parisienne au gré des vents, des aléas et des improvisations géographiques. C’était toujours une heureuse surprise que de le retrouver après un voyage et écouter ses histoires : il rétribuait chacune de ses destinations d’une sincère synesthésie à son auditoire.

Les improvisations était également narratives, ce qui façonnait notre imagination lointaine, et, également, notre représentation de Bruno. Lui auquel on avait forcé la main afin d’acquérir un jeune gorille pour quelques dollars lors d’un bref arrêt dans un gare congolaise ; lui qui revenait, souvent, avec son aye-aye dissimulé sous l’aisselle et qui le faisait chanter au grès de nos demandes… L’ensemble de ces souvenirs sont aujourd’hui les nôtres et ont élargi notre monde, nos mondes.

D’ailleurs, cette capacité narrative de Brubru s’est progressivement traduite dans les œuvres de Trémohars. Dans nombre de ses peintures, celui-ci cherche en effet à convaincre de l’infini spatial, de l’étendue illimitée de situations, qui en deviennent par la même intemporelles. L’artiste joue de la sorte avec l’infini. C’est pourquoi, si le monde de Trémohars est devenu spécifiquement bretonnant, il n’est en rien figé et monolithique : ce n’est pas un monde fini – à l’image de l’immensité indienne.
Il s’agit d’un monde qui dissimule un univers, qui décline l’ensemble des humanités, comme productions et qualités, dans un milieu où s’opposent la culture bretonne et ses reliques naturelles. Cela reflète en un sens le paradoxe vert de la Bretagne où l’agriculture n’est pas toujours harmonieuse dans son élément. L’opposition n’est reste pas moins mesurée, grâce à l’action, toujours douce, des personnes humaines. Et que Trémohars aime tant.

Rares sont les toiles, en effet, sans présence humaine. Cette considération picturale reflète l’attitude sociale du peintre, dont l’humanité – au sens d’amabilité – n’est plus à argumenter. L’artiste représente toujours les humains comme anonymes et les insère dans un milieu, sans espoir pourtant que ceux-ci en deviennent maîtres et possesseurs. Il peint ainsi les combats pacifiques entre cet animal social et une nature en perdition (un cours d’eau ; un terrain qui deviendra champs ou forêt), mais dont la résistance reste visible. D’ailleurs, on ne sait pas toujours qui s’efface, qui se noye et qui continue d’exister. La résilience est un thème de choix, car elle illustre ce rapport entre Nature et Humanité, comme si ces deux-là étaient indissociables, et ils le sont.

Après Bruno, c’est sans surprise que Trémohars se révèle être un humaniste.
La vivacité et la densité des couleurs employées permettent quant à elles d’électrocuter le regardeur, pour l’alerter de cette tension placide, mais le renvoient, également, aux qualités « primaires » de l’humanité, de l’homme à l’état de nature. Si les œuvres de l’artiste sont fréquemment scindées en leur centre par un flux (aquatique, céréalier), celui-ci ne symbolise-t-il pas aussi la teneur du lien humain, « du courant » ?

Enfin, le format en bandeau de la plupart des œuvres ajoute un sursaut moderniste aux thèmes choisis, mais plus encore. Ces dimensions nous renvoient à des fenêtres, interstices d’échange particulier entre l’artiste et le regardeur, et, plus généralement, entre semblables humains. L’échange commence avec un regard, dans lequel l’altérité se dévoile et se reconnaît franchement. Et dans ses œuvres, Trémohars n’hésite pas à nous faire des clins d’œil pour que s’éveillent nos consciences et que notre monde reste infini. Pour que nos voyages collectifs jamais ne s’arrêtent.

 

Biographie olfactive de Bruno Tremohars, par Lou Sompairac

 

Tremohars a toujours vécu près d’un cours d’eau. Il nait sur l’Aven, fait ses premiers ronds dans la Marne, les yeux rivés vers la Seine. L’une est un décor de plantes aquatiques, de tritons et d’écrevisses; l’autre est calcaire, doucement iodée, verte.
 Sur le ponton, un pneu en caoutchouc est suspendu. Avec ses frères, cela devient le support idéal pour s’entrainer à sauter loin. Quand le petit Bruno remonte à l’échelle vaseuse, une odeur de rivière envahit ses cheveux.


En vacances au Cap-Ferret, Bruno se souvient de la sève, des aiguilles de pins, des dunes et de la crème solaire mêlée à la peau chaude et sucrée. Plus tard, installé en terre bretonne, il retrouvera certaines de ces odeurs.
 A l’école, ce n’est pas le même air de jeu. Son seul moment d’évasion, c’est lorsqu’il renifle son crayon à papier sec, résineux et linéaire. Il s’imagine alors au pied d’un vieux cèdre de Virginie dans une forêt immense, sans solitude. Les senteurs de cet outil taillé sont inspirantes: il commence ses premiers croquis et sa palette olfactive s’amplifie: manche de bambou acidulé, pinceau en poil de chèvre racé, peinture a l’huile vaporeuse ou acrylique vernis à ongles.


Ailleurs, il apprivoise l’odeur des pavés mouillés, grise et répétitive. Quand il fait chaud, la rumeur olfactive de Paris devient orageuse, acide et sulfureuse. Le bitume est volcanique et pétrichor. Dans son bistrot habituel, l’exhalaison de la vieille machine à torréfier le rassure, la cigarette au comptoir l’amuse et le croissant chaud lui procure le sentiment vaniteux d’être un parisien d’après-guerre photographié par Brassaï. Les nuits d’été, ses déambulations s’accompagnent toujours de l’odeur rafraichie des rues après l’arrosage municipal. Parfois il regrette son vieux ponton de Charenton qu’il imagine au bout du boulevard.


C’est alors que le jeune Tremohars se met à voyager dans des coins où personne ne met encore les pieds. A la suite de son périple d’un bout à l’autre de l’Afrique, il raconte à des enfants ahuris des anecdotes poilantes et tapageuses: scorpions dans les chaussures, combat avec un rhino, nourritures spartiates à base de riz, criquets et boules de manioc. L’odeur d’herbe sèche, de poussière et de fauve chatouillent chaque matin ses narines désorientées. Il rencontre aussi un peuple nomade dont les repères se construisent avec les constellations.


D’abord circuit hasardeux, l’Inde devient vite un itinéraire de prédilection. Dès l’atterrissage à Delhi, Bruno a le nez tout azimut: ce ne sont pas seulement les odeurs rances de détritus ou de brulis domestiques mais aussi celles de la fange, du cloaque, de l’égout à ciel ouvert. Il s’habitue peu à peu et succombe à ce somnifère organique et boueux.
 Mais dans l’Inde qui digère tout, conquérants, peuples et cultures, on consomme aussi des odeurs divines. Si l’encens est un intermédiaire entre l’homme et les dieux; le triptyque Brahma-Parvarti-Krishna ou Vishnu- Kali-Ganesh se décline en un trio olfactif percutant: Chaï-Tandoori- Patchouli.

Tremohars s’allie aux tailleurs de bois. Dans son atelier, santal et bois de rose viennent se mêler à la colle, à la térébenthine et au crin du pinceau. La menuiserie git au sol à côté des copeaux, des sciures, des poudres de céréales et de réglisses pour former toiles et encadrements. En face, il y a une fabrique artisanale de saari qui dégage une forte odeur de pétrole, les couleurs des tissus sont similaires à leurs incisions olfactives: rouge carmin, jaune safran ou encore bleu roi.
En chemin vers le sud, Tremohars choisit chaque fois de rester une saison près d’un rivage. La côte de Malabar est connue pour ses brises salées et ses lagunes camouflées de marécages. Il habite une demeure traditionnelle en adobe où l’on respire la terre cuite, la mousson brûlante, les sièges en rotin, le hamac tressé. Le jardin pépie et accueille des fleurs dont la sensualité odorante se réveille au coucher du soleil. Il s’installe souvent à gauche des plantations pour peindre. Par dessus, des macaques jouent à balancer des bananes fades qui s’écrasent mollement.

A chaque retour ses amis notent quelques transformations chez lui. Dans ses nombreux sacs persiste l’odeur des celliers goans, du papier à bulles, des livres jaunis percés de galeries par les termites. Son parfum de voyageur conduit à un carrefour d’épices -de la badiane au curry-, continue la route d’une boisson fermentée et s’arrête sur une viande sèche: voici la signature de ses cotonnades taillées sur mesure. Au petit déjeuner, il boit du chaï, un mélange de thé noir, masala et lait bouilli. A midi, il se nourrit de riz. Après diner, il fume de temps à autre un bidie.

Dans la maison de Tremohars, ça sent le carton, le marqueur indélébile, les pantalons en lin et les corps tièdes, luttant contre le sommeil. Devant chez lui, sur l’Aven de ses origines, on perçoit l’odeur du lichen sur les cailloux, la vieille mousse de la chapelle, les mûres à la rosée, les pommes d’un verger, le clapotis des saumons dans l’eau et surtout les effluves du lisier traversant le village à toute allure.

En posant l’oeil sur son imagerie bretonnante, on y sent la coiffe amidonnée des bigoudennes, fière et humide, l’amertume du pain noir, l’andouille pâteuse, la graisse salée, le kouign aman au beurre battu et l’odeur du pruneau. Parfois on renifle profondément le vent Galerne, pur et froid, mais aussi le retour à Concarneau d’une pêche vivifiante mêlant iodes, mouettes, marées et goudrons. Et puis il y a le dessin des voiles à peine gonflées qui rappelle l’odeur cuisante des buissons d’ajonc du côté de Penkernéo. Dès Février, ce coin du littoral est odeur d’épines, peinture de fleurs.

17 rue du Général de Gaulle 29930 PONT-AVEN – tél. 02 98 06 43 92
Ouvert tous les jours de 11h à 13h et de 14h à 19h